L’histoire de Monhahoué Yaya Coulibaly est assez atypique. Chasseur expérimenté de singes depuis plusieurs années, son destin va prendre un autre virage en 2006. Il s’est reconverti en un véritable défenseur des animaux et est devenu un artisan de la conservation de la Forêt des Marais Tanoé-Ehy, à Tiapoum (Aboisso).
De teint noir, grand, chevelure grisonnante et le visage ridé par le poids de l’âge, c’est avec humour qu’il nous accueille. La cinquantaine révolue, c’est avec énergie et enthousiasme qu’il accepte de nous raconter son expérience avec la Forêt des Marais Tanoé-Ehy (FMTE).
“Ma cible principale était les singes”
Monhahoué, après avoir arrêté les études, avait pour habitude d’aller à la chasse avec son frère aîné dans cette forêt. Au fil des années, il devient un chasseur expérimenté. Il explique : “Je faisais en ce temps de la chasse de subsistance. Chaque deux ou trois mois, nous chassions dans cette forêt. Nous pouvions abattre 10 à 15 animaux. Nous ne les vendions pas. Lorsque nous en avions assez, nous en donnions aux membres de la famille. Nous chassions des gazelles, des singes, des crocodiles. Mais ma cible principale était les singes. Tout type de singes, je les tuais”.
Un changement de vie à 360°
Mais cette activité, Manahoué va l’arrêter du tout au tout. La raison, la Forêt des Marais Tanoé-Ehy est identifiée en 2006 par une équipe de chercheurs du Centre suisse de recherches scientifiques en Côte d’Ivoire (CSRS) comme étant un site hautement prioritaire pour la conservation des primates en Afrique de l’ouest.
Monhahoué, membre de la chefferie du village de Dohouan, est sollicité pour servir de guide aux chercheurs venus en mission exploratoire. “En tant que Secrétaire du Chef, les chercheurs du CSRS ont été envoyés vers moi. Après avoir rendu compte au chef du village, je suis désigné pour accompagner les chercheurs en forêt. Nous menons ensemble cette mission exploratoire qui fut documentée avec des photos à l’appui. Compte tenu des différentes espèces en voie de disparition découvertes dans cette forêt, les chercheurs, pilotés par le Prof. Inza Koné, Dr. en ce moment-là, décident de sensibiliser les villageois, moi en premier, afin que nous les aidions à protéger ces espèces en voie d’extinction’’.
Il est donc aux premières loges de ces découvertes d’espèces rares et comprend aussitôt la nécessité d’arrêter de chasser les singes et autres animaux de la FMTE. Il décide alors de travailler aux côtés des scientifiques afin de protéger ces espèces.
Dans la foulée, les chercheurs du CSRS, mettent en place l’Équipe volontaire de surveillance et de sensibilisation (EVSS). “Cette équipe, que j’ai intégrée, était chargée de contrôler la forêt et d’accompagner les chercheurs sur le terrain. Et chaque village autour de la forêt avait son EVSS. Après la mise en place de ces EVSS, les chercheurs du CSRS décident de sensibiliser les villageois à grande échelle”, se souvient-il.
De grandes campagnes de sensibilisation sont alors organisées dans chaque village voisin à la FMTE pour s’approprier le projet pour une synergie d’action. Suite à ces sensibilisations, de nouveaux dispositifs voient le jour. Les villageois sont réorganisés et dans chaque village est créée une AVCD (Association villageoise pour la conservation et le développement), juste pour la forêt. Le message du développement durable prend une place importante dans la communauté et la protection de l’environnement ainsi que la conservation de la biodiversité deviennent prioritaires :“Dans chaque association de chaque village, toutes les associations qui existaient avant, qui n’étaient pas pour la conservation, ont été sommées de rejoindre l’AVCD’’.
Une ascension fulgurante
“De 2006 à 2009, avec le concours du CSRS, nous avons organisé les villages en AVCD”, raconte Monhahoué, qui est nommé par la suite président de l’AVCD. « Cette même année, je passe de membre de l’EVSS à guide. J’avais pour tâche d’accompagner les chercheurs et étudiants chercheurs dans la FMTE ”.
En 2012, ses efforts et actions en faveur de la préservation de la FMTE sont récompensés. Il est nommé président de l’Association intervillageoise de gestion (AIVG) de Nouamou. Guide, Monhahoué va le rester jusqu’en 2020 où il sera élu, au cours d’une assemblée, président de l’Association intervillageoise de gestion (AIVG) de la sous-préfecture de Nouamou, qui regroupe trois villages : Kotoagnuan, Dohouan et Nouamou. Il est désormais un expert qui forme d’autres guides. Et ces nouveaux guides sont également des anciens braconniers qui ont été sensibilisés sur la nécessité de préserver la FMTE. Ce choix, parce qu’ils connaissent de bout en bout la FMTE, expliquet-il.
Les raisons de cette ascension
Prof. Inza Koné, directeur du Centre suisse de recherche scientifique, qui collabore avec Monhahoué depuis le début de cette aventure, revient sur ce processus d’autonomisation des communautés villageoises autour de la FMTE et de cet ancien chasseur. « Nous sommes dans un processus d’autonomisation des communautés locales et donc dans une relation partenariale. Nous les aidons à s’organiser en associations à plusieurs niveaux : AVCD, AIVG et FAIVG. Dans ce processus, certains se démarquent et font preuve d’un vrai leadership. Ils se font élire ainsi à des postes clefs dans ces associations. Ils prennent nos formations au sérieux et leur connaissance de la forêt en tant qu’anciens braconniers est un atout, explique-t-il. “Parallèlement à son évolution dans le processus mis en place, Monhahué a gagné en influence dans son village en devenant l’un des notables les plus respectés. C’est le cas de plusieurs autres anciens braconniers reconvertis qui sont devenus nos partenaires privilégiés, non seulement pour la surveillance et le suivi écologique de la forêt, mais aussi pour la sensibilisation des pairs et la coordination des actions de développement local liées directement ou indirectement à la Conservation’’, témoigne-t-il.
Clément Bomey, Chargé de Suivi écologique et de patrouille au Programme de Recherche et actions pour la sauvegarde des primates en Côte d’Ivoire (RASAPCI) , a plusieurs fois exploré la FMTE en ayant pour guide Monhahoué. Pour ce chercheur associé au CSRS, Monhahoué est “intelligent”. “Il a très vite et même parfois mieux compris que les autres, l’utilisation des outils de suivi écologique et de patrouille. Il a une bonne maîtrise des mentalités des communautés et de la tradition. Très utile quand il s’agit de faire référence ou d’impliquer les chefs traditionnels dans les actions du processus de conservation de la FMTE. Il est également engagé dans les actions de conservation et les activités de développement de chaînes de valeur du manioc impliquant les femmes de sa communauté. Ce n’est donc pas un hasard qu’il ait connu cette ascension, nous dit Ernest, un membre de la communauté villageoise de Dohouan.
Monhahoué, un exemple à suivre
Une reconversion réussie, c’est ce que l’on retient du parcours de Monhahoué. Il est aujourd’hui une personne ressource que l’on consulte, qui informe et forme. ’’Je remercie les chercheurs du CSRS et ses partenaires. Grâce à eux, j’occupe des postes de responsabilités, j’interviens en tant qu’expert, même en dehors de la Côte d’Ivoire. Je suis déjà intervenu au Ghana sur ces questions. Certains médias sont même passés nous voir. J’ai été interviewé pour parler de ce que nous faisons. Grâce aux chercheurs du CSRS, j’ai compris l’importance de cette forêt, de la protéger et la préserver. Aujourd’hui, tuer des animaux, même en dehors de la forêt, est devenu quelque chose de difficile pour moi’’, raconte-t-il avec émotion. ’’Ils nous ont non seulement sensibilisés, mais nous ont donné d’autres alternatives pour subvenir à nos besoins. Avec le Dr Hgaza, par exemple, nous avons appris les techniques de cultures intensives du manioc. Aujourd’hui, le manioc me rapporte près 400.000 FCFA. Ce qui me permet de subvenir aux besoins de ma famille”, conclut-il.
Ce portrait été réalisé par Aïssatou Fofana, avec l’appui de Eburnie Today et l’ONG IDEF dans le cadre du projet “Building the biodiversity media champion network in Côte d’Ivoire” soutenu par Earth Journalism Network et Internews Europe.