Chercheur doctorant en chimie atmosphérique à l’université de Wollongong en Australie, et aussi en durabilité des affaires à l’Université de Surrey en Angleterre, Dominique Bally KPOKRO travaille depuis 2016 à la mise en œuvre de solutions aux problèmes liés à la qualité de l’environnement avec son ONG Centre Africain pour la Santé Environnementale (CASE) présente dans plus de 16 pays africains. Dans cet entretien, il revient sur l’inventaire de l’utilisation du mercure dans l’orpaillage en Côte d’Ivoire et ses risques.
Aujourd’hui, l’on assiste à l’utilisation du mercure dans l’orpaillage artisanal en Côte d’Ivoire. Que faut-il savoir de ce produit ?
Dominique Bally : Le mercure existe sous différentes formes : mercure élémentaire (ou métallique), inorganique (auquel on peut être exposé dans le cadre d’une activité professionnelle) ou organique (méthyle mercure par exemple, auquel on peut être exposé par l’alimentation). Le mercure a un niveau de toxicité et des effets variables sur les systèmes nerveux, digestif et immunitaire, et sur les poumons, les reins, la peau et les yeux.
Le mercure est naturellement présent dans l’écorce terrestre. Il est libéré dans l’environnement par l’activité volcanique, l’érosion des roches et à la suite d’activités humaines.
L’exposition au mercure, même à de petites quantités, peut causer de graves problèmes de santé
Dominique Bally : Une fois dans l’environnement, le mercure peut être transformé par des bactéries en méthyle mercure, qui va s’accumuler biologiquement (atteindre une concentration plus forte que dans l’environnement) dans les poissons et les crustacés. Le méthyle mercure subit également une bioamplification.
L’exposition au mercure, même à de petites quantités, peut causer de graves problèmes de santé et constitue une menace pour le développement de l’enfant in utero et à un âge précoce.
En effet, le mercure de par ses propriétés physico chimiques peut avoir des effets toxiques sur les systèmes nerveux, digestif et immunitaire, et sur les poumons, les reins, la peau et les yeux.
Vous avez dressé un inventaire de ce produit en Côte d’Ivoire. Comment avez-vous précédé?
Dominique Bally : Le gouvernement ivoirien a obtenu une assistance auprès du FEM et de l’ONU-Environnement pour la mise en œuvre du Projet de développement d’un plan d’actions national (PAN) pour l’exploitation artisanale et à petite échelle de l’or » en vue de prévenir les risques posés par les émissions et rejets de mercure de l’exploitation artisanale et à petite échelle de l’or. Prévu sur la durée de 2020 à Juin 2023, ce projet en sa première composante était chargé d’élaborer un inventaire du mercure utilisé dans l’EMAPE (ndlr Exploitation minière à Petite Échelle).
En sa qualité d’agence d’exécution, notre organisation le CASE, en accord avec le gouvernement ivoirien, a recruté des équipes de consultants pour entreprendre les missions de collecte de données pour l’inventaire de l’EMAPE.
Ces équipes de consultants ont été formées par CASE en collaboration avec l’UCP, lors d’un atelier afin de partager les méthodologies relatives aux inventaires de mercure et des pratiques minières, aux évaluations des impacts sanitaires et socioéconomiques, à l’état des lieux de la formalisation, la prise en compte des dimensions genre, etc.
En vue de couvrir toutes les zones d’EMAPE, les équipes de consultants, la coordination du projet PAN et l’agence d’exécution ont établi un découpage de onze (11) zones couvrant vingt (20) régions de la Côte d’Ivoire où se pratique l’orpaillage.
Les données recherchées pour la phase d’inventaires consistaient essentiellement en :
- La définition du ratio mercure-or (c’est-à-dire la quantité de mercure servant à produire une unité d’or), par site, par région et la moyenne nationale
- Les estimations des quantités d’or sur la base de la méthode de travail et sur les gains des mineurs artisanaux…
Quels sont résultats de cet inventaire ?
Dominique Bally : Au titre des résultats, l’on note que deux sites dans les régions de Gôh et du Poro n’utilisent pas du mercure dans leur pratique. Hormis cela, tous les sites identifiés dans les 20 régions visitées utilisent du mercure. Au total, la quantité de mercure utilisée sur les 241 sites d’orpaillage clandestins est de 9,97967 soit 10 tonnes par an.
Parlez nous de la Convention ratifiée par la Côte d’Ivoire contre l’utilisation du mercure.
Dominique Bally : La Côte d’Ivoire, soucieuse de la protection de sa population et de son environnement a toujours accordé un intérêt particulier aux accords et conventions internationaux. C’est à ce titre qu’elle a, à l’instar des autres États, participé à toutes les réunions de négociations et signé la Convention de Minamata sur le mercure le 10 octobre 2013 à Kumamoto au Japon.
Cette convention a pour objectif de protéger la santé humaine et l’environnement des rejets anthropiques de mercure comme le stipule son article 1. Après plusieurs séances de sensibilisation de nos autorités, une évaluation initiale du mercure dans notre pays, la Convention de Minamata a été ratifié par la République de Côte d’Ivoire et l’instrument de la ratification déposée aux Nations Unies le 1er Octobre 2019.
Cette Convention est entrée en vigueur pour notre pays le 30 décembre 2019. Par cette ratification, l’État s’est engagé à mettre en œuvre les mesures et action pour réduire voire éliminer l’usage du mercure dans les secteurs tels que prescrits par la Convention (notamment la dentisterie et l’orpaillage) et aussi à interdire les produits contenant du mercure ajouté listés à l’annexe A, tels que les crèmes éclaircissantes, les lampes et batteries contenant des teneurs élevées de mercure, les antiseptiques à mercure etc.
Vous parlez d’interdiction du mercure, mais comment les orpailleurs artisanaux arrivent ils à se procurer ce produit en grande quantité ?
Dominique Bally : La loi portant Code Minier en Côte d’Ivoire du 24 Mars 2014, en son titre IV et son article 68 interdit l’usage des produits chimiques et substances explosives. De ce fait, le mercure est interdit dans la pratique minière artisanale. Toutefois, la loi minière ivoirienne l’autorise, dans des conditions bien spécifiques pour le secteur des mines semi-industrielles.
Au niveau de la Côte d’Ivoire, les importations de mercure sont consignées sous l’appellation « Composés inorganiques ou organiques du mercure, de constitution chimique définie, à l’exclusion des amalgames ». Ce manque de précision dans la nomenclature douanière peut entraîner une faille laissant passer du mercure liquide, qui sera utilisé ultérieurement pour la pratique de l’orpaillage.
Cependant, les autorités douanières, minières et environnementales étant informées de l’interdiction du mercure dans l’orpaillage, n’autorisent aucunement son importation. C’est donc par des voies détournées que le mercure entre en Côte d’Ivoire, souvent en provenance des pays voisins ou même au travers des eaux de ballastes lorsque les navires entrent au port pour un nettoyage.
l’orpaillage et son corollaire de pollution rendent Bianouan tristement célèbre
Vous connaissez sûrement l’histoire de Bianouan, au sud-est de la Côte d’Ivoire, qui subit de plein fouet l’orpaillage au mercure. Quels risques encourent les populations les années à venir, si rien n’est fait ?
Dominique Bally : J’aurais aimé que nous parlions de Bianouan, pour sa contribution à l’économie nationale du fait de l’essor des cultures de rentes dans la zone et aussi de la promotion des activités piscicoles sur la rivière Bia qui la traverse et à laquelle elle doit son nom. Malheureusement, l’orpaillage et son corollaire de pollution rendent Bianouan tristement célèbre.
En effet, la rivière Bia prend sa source au Ghana, notamment dans sa partie occidentale.
La prolifération des mines artisanales, un réel danger pour les populations riveraines
L’ouest du Ghana constitue l’un des poumons de la production aurifère du pays frère qu’est le Ghana. Pour ce faire, aussi bien des mines industrielles, semi-industrielles et artisanales d’or sont implantées dans la région. Avec la flambée du cours de l’or au niveau international la décennie récente, plusieurs sites miniers artisanaux ont été ouverts dans la partie occidentale du Ghana.
Il s’en ai suivi une prolifération de mines artisanales illégales, utilisant du mercure à outrance, qui ont été ouvertes ça et là sans respect des dispositions légales en vigueur au Ghana, mais surtout au détriment de la ressource en eau qu’est la rivière Bia et ses affluents. Les populations vivant autour de ladite rivière étant fortement liées par la culture, la pratique d’orpaillage illégale s’est aussi répandue en Côte d’Ivoire.
Par la suite, la rivière a été impactée autant par une augmentation de la teneur des matières en suspension, de la turbidité donc, mais surtout de la teneur en mercure.
Si rien n’est fait, le mercure élué dans les eaux va, sinon est en train d’être converti en méthylmercure (ndlr forte concentration de mercure). Ce méthylmercure va s’accumuler dans les crustacés et les poissons contenus dans la rivière et les populations vont se contaminer par le mercure en consommant l’eau de boisson provenant de cette rivière et les produits animaux qui en proviennent.
Je ne suis pas prophète, mais je puis vous assurer que nous devons nous préparer à gérer des pathologies liées au mercure sous sa forme méthylée. Ne soyons pas surpris si dans les 05 prochaines années, des cas de maladies neurodégénératives, d’anémies, de cancer, de baisse de la fertilité masculine comme féminine, la baisse du quotient intellectuel chez les enfants et un taux élevé de fausses-couches, sont enregistrés dans la zone de Bianouan, au cas où des mesures idoines ne sont pas prises.
Quelles actions urgentes recommandez-vous ?
Dominique Bally : En urgence, il faut une batterie de mesures pour accompagner la protection de la santé environnementale. Il nous faut arrêter toute pratique d’orpaillage qui rejette directement ses eaux dans la Bia et renforcer la surveillance des sites d’orpaillage pour s’assurer de leur légalité et de la mise en place de station de traitement de minerai qui n’émettent aucun rejet dans la Bia ou ses affluents. Ensuite, il faudra interdire la pêche et la consommation de poissons et de crustacés pendant une certaine période, notamment celle que durera le suivi environnemental de la rivière et de ses biotes. Par ailleurs, privilégier l’amélioration du processus de traitement des eaux en vue de leur potabilisation en y ajoutant des étapes de traitement au carbone actif et y ajoutant les tests de détermination des métaux lourds pour s’assurer de l’innocuité de l’eau de boisson des populations riveraines. Enfin, il faudra dresser un suivi sanitaire des populations de Bianouan en vue de contrôler périodiquement les niveaux de mercure dans certains liquides physiologiques (sang et urine) ainsi que les certains tissus comme les cheveux.
Interview réalisée par M.A