En Côte d’Ivoire, on estime entre 25 000 et 50 000 tonnes de déchets électroniques produits chaque année. Ces déchets, considérés comme dangereux par l’Organisation Mondiale de la Santé, contiennent des matières toxiques et peuvent générer des produits chimiques nocifs lorsqu’ils sont traités de manière inappropriée. Ils représentent donc une menace pour l’environnement, l’économie et la santé publique. Les acteurs du secteur privé et public mettent en place diverses solutions pour y remédier, notamment des techniques de collecte et de recyclage, afin de donner une seconde vie à ces déchets.
Assis derrière leur bureau, les techniciens en réparation de télévisions et d’ordinateurs tentent de redonner une nouvelle vie aux appareils qu’ils dévissent pour établir un diagnostic, avant de prendre la décision qui s’impose, en fonction de la panne détectée. Nous sommes à Adjamé, au sein du quartier Habitat, principal centre commercial de la ville. Ici, on retrouve des magasins de vente d’appareils électroniques de toutes sortes, souvent importés d’Europe. Surnommés “appareils France au revoir”, ces équipements sont tous vendus, y compris ceux qu’on appelle communément “non testés”. Lorsque ces derniers s’avèrent défectueux, les clients se tournent vers des réparateurs comme Yaya Coulibaly. Il en est de même pour toutes les personnes dont les appareils présentent des imperfections.
“Nous utilisons des pièces de machines hors service pour les réparations. Nous achetons ces appareils (non testés) pour récupérer des pièces pour d’autres réparations, car il est très difficile de trouver de nouvelles pièces d’ordinateurs. Parfois, je me rends dans les décharges et même chez les particuliers pour récupérer des articles qui pourraient m’intéresser”, raconte-t-il. Il ne se débarrasse presque jamais des ordinateurs qui ne fonctionnent pas car, dit-il, “il y a toujours des pièces à récupérer” et cette technique lui permet de redonner vie à 10 ordinateurs par jour.
Comme Yaya, M. Konan, spécialiste en réparation de télévisions et onduleurs depuis plus de 20 ans, s’approvisionne dans les magasins d’appareils ‘’non testés” et aussi à la casse d’Anoumabo. “Nous ne prenons pas de stock d’appareils par semaine ou par mois. Nous nous approvisionnons en fonction des besoins d’appareils à réparer dans la journée. Quand c’est nécessaire, nous achetons de nouvelles pièces ou les non testés”, témoigne celui qui répare en moyenne 7 téléviseurs par jour.
À la casse d’Anoumabo, un espace de plus de 2 hectares situé au sud d’Abidjan où travaillent plus de 5000 personnes, plusieurs outils métalliques résonnent à longueur de journée. On y retrouve maints déchets qui émanent des équipements électroniques et électriques. Photocopieuses, imprimantes, groupes électrogènes, télévisions, chambres froides…
Dans un premier temps, les travailleurs font la remise en état de ces équipements pour les faire fonctionner. Lorsqu’ils n’y parviennent pas, ils procèdent au démantèlement, qui consiste à faire des tris pour des recyclages. « Ils retirent le fer, le cuivre, le plastique, l’aluminium, le caoutchouc et divers autres matériaux que nous vendons à des particuliers ou des entreprises en fonction de leurs besoins spécifiques, car ils ont la technologie nécessaire pour les transformations. Plusieurs grosses entreprises viennent se ravitailler chez nous », explique le président exécutif de l’Association des casses modernes de Côte d’Ivoire (AfecmCI), Mamadou Soro.
Ainsi, la ville d’Abidjan, via ce centre, se débarrasse quotidiennement d’un nombre important de déchets électriques et électroniques, même si le pourcentage n’est toujours pas recensé. « Le ramassage de ces déchets est aussi une solution au nettoyage de la ville, car il peut y avoir des produits néfastes pour la santé. Auparavant, on ne prenait pas les coques des voitures. Au niveau de l’ancienne casse d’Adjamé, cela encombrait l’environnement et créait un problème environnemental. Quand ce matériel brûle, les sapeurs-pompiers peuvent prendre 7 à 10 jours pour éteindre. On a commencé à s’intéresser à partir des années 2005. Mais avant, il y a eu beaucoup de dégâts. Ils ont créé un cimetière de ces déchets autour de la forêt du Banco tellement il y en avait”, atteste Mamadou Soro. Ces déchets proviennent très souvent des ramasseurs d’ordures, des entreprises et bien d’autres acteurs du secteur.
Les initiatives de l’entreprise EWA
Electronic Wastes Africa (EWA) travaille sur deux grands axes d’intervention. Il s’agit de la sensibilisation des entreprises et de la prestation de services. Elle a initié une plateforme dédiée au démantèlement et au recyclage des déchets électriques et électroniques qui sert également d’espace d’apprentissage pour les acteurs informels. Ils reçoivent une formation technique sur le démantèlement et les précautions à prendre.
Ces solutions comprennent notamment la sensibilisation et la mobilisation des acteurs du secteur informel pour une gestion écologiquement rationnelle des déchets électroniques, l’organisation de formations sur les bonnes pratiques de collecte, de démantèlement et de recyclage des déchets électroniques, la mise en place d’une communauté des acteurs du secteur informel pour favoriser l’échange de connaissances et la collaboration, l’accompagnement des jeunes intéressés par la filière des déchets électroniques vers l’entrepreneuriat social, et la mobilisation des partenaires techniques et financiers pour la réalisation de projets visant à améliorer la gestion des déchets électroniques.
« Nous avons déjà formé 300 à 400 acteurs du secteur informel et une centaine de jeunes intéressés par la filière des déchets électroniques gratuitement. La prochaine vague prendra en compte 50 jeunes. Nous suivons ces jeunes formés jusqu’à ce qu’ils aient une assise, contribuant ainsi au processus de création d’emplois », détaille Evariste Aohoui, le Directeur et fondateur de l’entreprise.
À long terme, il espère contribuer à la structuration complète du secteur informel des déchets électroniques, en rendant la filière plus attractive et en attirant davantage d’investissements, et voir la mise en place d’infrastructures dédiées au recyclage des déchets électroniques, similaires à celles existant en Europe, pour permettre une gestion plus efficace de ces déchets.
Ces efforts visent à améliorer la gestion des déchets électroniques en Côte d’Ivoire et à contribuer à un secteur informel plus structuré et professionnel. »
L’expérience MTN
L’opérateur de téléphonie mobile MTN Côte d’Ivoire n’est pas en marge des initiatives de récolte et de recyclage des déchets électroniques pour la préservation de l’environnement. Il a pour sa part mis en place un projet dénommé « E-Waste » depuis 2014 pour faciliter la collecte et le recyclage des déchets électroniques en partenariat avec des entreprises spécialisées comme EWA et GRAFICA IVOIRE.
Ce projet est axé sur plusieurs volet notamment la sensibilisation des populations et des entreprises sur les dangers environnementaux liés à la mauvaise gestion des déchets électroniques, la promotion de comportements écocitoyens en encourageant le dépôt des déchets électroniques dans des points de collecte spécifiques, l’organisation de campagnes de sensibilisation à travers des médias tels que la radio, la télévision et l’affichage public pour encourager la participation au programme de collecte, l’encouragement des entreprises à adopter des pratiques écocitoyennes en mettant à disposition des boîtes de collecte dans leurs locaux et en facilitant le processus de recyclage de leurs déchets électroniques.
Selon Pierre Assaba, le Coordinateur Communication de MTN chargé de la partie collecte et promotion de la collecte et du recyclage des déchets électriques et électroniques, ledit projet a permis de collecter et recycler environ 92 tonnes de déchets électroniques en 3 mois lors des premières années. « Lorsque les déchets atteignent 40 pieds dans les conteneurs, les entreprises notamment Bolloré les récupéraient, avant de les acheminer en Afrique du Sud pour recyclage à cause de la technicité qui n’existait pas encore en Côte d’Ivoire. Ils recyclaient les déchets jusqu’à 90%, ensuite ce qui n’était pas recyclé en Afrique du Sud par manque de technicité était transporté aux Pays-Bas pour le recyclage et il ne restait que 2% des déchets », explique-t-il.
Poursuivant, il ajoute: « Le projet est toujours en cours. Nous avons des signatures de partenariats avec des entreprises spécialisées dans la collecte et le recyclage des déchets électroniques, telles que SATEM et GRAFICA IVOIRE. Nous organisons des programmes de sensibilisation ayant permis d’adopter des comportements écocitoyens chez les populations et les entreprises. Nous créons des emplois indirects à travers l’engagement de stagiaires pour la gestion des programmes de collecte et de sensibilisation. Certains stagiaires occupent des postes de hautes responsabilités dans des entreprises sur cette thématique », a-t-il indiqué.
Pour la récolte des déchets, des partenariats avec plusieurs supermarchés dans lesquels étaient déposés de gros conteneurs permettaient d’obtenir les résultats escomptés. Ce projet s’inscrit dans un cadre plus grand, une initiative majeure de MTN qui s’appelle ESS (Environnement, Social, Gouvernance). Le E-waste se trouve dans la partie environnement de ce projet. C’est une initiative qui se trouve au cœur de la stratégie de MTN qui s’étend de 2020 à 2025. »
Les Solutions du gouvernement ivoirien
En 2019, le ministre de l’Environnement et du Développement Durable ivoirien, Joseph Séka Séka, avait annoncé la création de 5 000 emplois dans la gestion des déchets électroniques et électriques en Côte d’Ivoire. Un protocole d’accord a été signé avec le consortium SGS-SAR pour établir deux centres de gestion et plus de cinquante centres de collecte à travers le pays. Ces actions se sont alignées avec la politique gouvernementale en matière d’environnement et de développement durable, en lien avec le Programme Social du Gouvernement. Malgré nos demandes d’information pour en savoir davantage sur ces solutions, les preuves de résultats y compris les limites, aucune réponse n’a été obtenue jusqu’à présent.
Les Défis de la Gestion des Déchets Électroniques en Côte d’Ivoire
Malgré les efforts déployés par les acteurs du secteur privé pour gérer les déchets électroniques en Côte d’Ivoire, plusieurs défis persistent, compromettant ainsi la durabilité des initiatives en place.
L’absence de comportement éco-citoyen pose un défi majeur pour les techniciens en réparation, qui sont souvent contraints de racheter des appareils hors service pour récupérer des pièces. Cette pratique engendre des dépenses supplémentaires qui se répercutent sur les factures des clients, créant ainsi une charge financière supplémentaire pour les entreprises du secteur.
A cela s’ajoute le besoin de” développer des compétences spécialisées dans le traitement de certains types de déchets et de mettre en place des unités de transformation pour valoriser les déchets non prisés”. Cette spécialisation permettrait d’optimiser le processus de recyclage et de créer de nouvelles opportunités économiques dans le secteur.
« Localement, il y a un manque de sensibilisation et de priorité accordée à la gestion des déchets électroniques dans le secteur privé. Les entreprises ne se sentent pas obligées de contribuer à la gestion écologique de leurs déchets électroniques « , déplore le Fondateur de Ewa. En effet, les entreprises ne ressentent pas toujours l’obligation de recycler leurs déchets électroniques, ce qui compromet la mise en place de pratiques éco-responsables.
Résistance des Populations et Coûts Élevés
Selon les observations de Pierre Assaba, la résistance de certaines populations à se débarrasser de leurs déchets électroniques constitue un défi majeur. Cette situation nécessite une sensibilisation continue pour encourager le recyclage. De plus, le coût élevé du recyclage dissuade certaines entreprises de participer aux programmes de gestion des déchets électroniques, compromettant ainsi les efforts de recyclage.
Autre problématique, la tentation pour certaines entreprises de vendre leurs déchets électroniques à des tiers, ce qui compromet la chaîne de recyclage. De plus, la difficulté à recycler certains composants électroniques complexes nécessitant des équipements spéciaux et coûteux pose un défi technique majeur.
Article rédigé par Marina Kouakou, dans le cadre du projet « Terra Africa », piloté par CFI – Agence française de développement médias.