À la fois expression artistique et moyen de sensibilisation, l’art écologique est utilisé en Côte d’Ivoire par certains artistes et organisations à but non lucratif (ONG) autour d’un objectif commun : celui d’apporter des solutions à la protection et à la conservation de la nature.
Gbagba Extension (Bingerville). C’est dans cette commune du sud de la Côte d’Ivoire, située au bord de la lagune Ébrié, que s’est installée l’une des figures de la peinture contemporaine ivoirienne, Mounou Désiré Koffi. Réputé pour le recyclage des téléphones portables dans ses œuvres, l’artiste expose une vingtaine de créations réalisées à partir de touches de téléphones dans son atelier, perché au sommet d’une grande villa, ce lundi 20 mai 2024. On y trouve des représentations du quotidien ivoirien, notamment la ville et les embouteillages, les mamans en cuisine, des enfants qui s’amusent…
Ainsi, le plasticien, qui compte plus de 7 années d’expérience, milite pour la réduction des déchets électroniques et lutte contre les effets du changement climatique, ayant vécu dans le quartier d’Anono (Rivera) où les déchets sont omniprésents. « J’ai été aussi inspiré par mon professeur, Konan Pascal, un artiste ivoirien renommé spécialisé dans le recyclage. Constatant que les enfants jouent avec des objets abandonnés et potentiellement dangereux, j’ai réfléchi longuement à un moyen d’exprimer mon message », témoigne l’artiste qui sensibilise les populations à travers son art.
Il choisit donc le téléphone, un objet proche et intime, pour symboliser et transformer les déchets en œuvres d’art, donnant ainsi une nouvelle vie à ces objets abandonnés.
En effet, la mauvaise gestion des déchets constitue une problématique majeure écologique mais également sanitaire. Elle contamine les océans, obstrue les canaux d’évacuation des eaux, provoque des inondations, pollue l’air, cause des troubles cardiaques et diminue l’espérance de vie de l’homme, selon les résultats de plusieurs études. Celui qui détient le baccalauréat artistique (BAC H) apporte des solutions novatrices, avec une approche collaborative. Ces solutions comprennent notamment la collecte internationale des déchets, la mise en place d’une équipe dédiée, les collaborations avec les entités, la sensibilisation à la réutilisation des déchets, la collaboration avec des sociétés spécialisées dans le recyclage, le maintien des matières non utilisées en stock pour d’éventuelles créations et l’intégration des Smartphones dans les tableaux pour créer des effets d’ombres, de lumière ou des effets au sol qui créent des reflets.
« L’équipe d’atelier, composée de deux filles et d’un garçon, travaille avec une dizaine de collaborateurs temporaires au Burkina Faso, au Bénin, au Congo-Brazzaville, à Kinshasa, à Dakar et en Côte d’Ivoire pour collecter les déchets électroniques d’Afrique et d’ailleurs qu’on retrouve sous nos tropiques. Ils sont payés en fonction de la quantité apportée. Les sacs de 25 kg, on les prend souvent à 70 ou 100 000 FCFA. Les sacs de 50 kg, on peut les avoir à 150 000 FCFA. Ça leur permet de gagner quelque chose », explique-t-il.
S’il est difficile pour Mounou Désiré Koffi de quantifier le nombre de déchets qu’il reçoit, il sait cependant qu’il recycle des milliers et des milliers d’appareils. « Quand on les récupère, on les nettoie, on les fait sécher. Une partie est utilisée pour le collage et l’autre pour la couture. Les parties non utilisées vont dans le stock », justifie-t-il.
Pour lui, l’art nourrit son homme si le travail est soigné. « Il est difficile de donner des chiffres, mais retenez qu’il peut arriver de faire 3 mois sans vente. On peut faire une ou 10 ventes par mois. Ce ne sont pas des choses prédéfinies. L’artiste peut néanmoins avoir de quoi s’occuper de ses charges et de sa famille », souligne-t-il.
D’ici quelques années, l’artiste prévoit d’étendre son influence et de faire rayonner la marque « Mounou » à travers le monde, en éveillant les consciences aux enjeux du changement climatique et de la pollution. Il souhaite également intensifier son engagement dans l’éducation, reconnaissant le pouvoir transformateur d’une sensibilisation précoce sur les valeurs et les comportements des générations futures.
Alternatives de « Moi Jeu Tri »
A l’instar de l’artiste, l’ONG internationale « Moi Jeu Tri » initie des activités de valorisation des déchets à travers les œuvres d’art depuis 2020. Nommées « Art et déchets », ces activités menées en partie par des élèves permettent également de collecter et de recycler des déchets plastiques.
« Nous avons mis en place des clubs « Moi Jeu Trie » et établi un partenariat avec 120 établissements scolaires, dont 118 écoles publiques. Ces clubs font fonctionner le programme ou l’ensemble des programmes dans les écoles. Les 2400 enfants qui participent à ces activités par an effectuent des collectes de déchets plastiques, à travers lesquelles ils vont réaliser des œuvres d’art », raconte la Directrice de l’ONG Moi Jeu Trie Côte d’Ivoire, Rosanne Tanoé, épouse Soro.
Ces déchets, ils les collectent depuis la maison, avant de les faire parvenir dans les établissements. Une fois que le quota recherché est atteint, ils passent à la transformation. Ils confectionnent des règles, des toupies, des mascottes, des tortues et bien d’autres choses par le biais de la machine « RSF », conçue en France par l’Association Recyclage sans Frontière.
Au terme des confections, généralement en fin d’année, une mini vente aux enchères est organisée par lesdits clubs en partenariat avec les établissements pour présenter les différentes œuvres lors des journées portes ouvertes. Les enfants présentent des objets qu’ils ont réalisés, qui sont ensuite vendus pour collecter des fonds. L’argent récolté est destiné à financer des projets sociaux dans ces écoles, répondant aux besoins urgents tels que la réhabilitation de latrines, le matériel informatique, les tables et les bancs, les tables de cantine, et la construction de points d’eau.
« En fonction de la somme collectée et des travaux à réaliser dans les établissements concernés, nous complétons la somme si besoin. Le plus grand projet récent a été la construction de salles de classe à Gbagba extension, en 2023 », fait-elle savoir.
Ledit programme coûte environ 2 400 000 FCFA par école par an.
L’objectif de l’ONG est d’atteindre 1 000 000 d’enfants d’ici 2025 en sensibilisant à la préservation de l’environnement. L’ONG souhaite intégrer des modules éducatifs pour créer des opportunités, notamment dans les métiers verts.
Les défis du recyclage des déchets
Dans la quête d’une gestion efficace des déchets, la Côte d’Ivoire se trouve confrontée à une série de défis qui entravent la création de valeur à partir des matériaux recyclables, selon la Directrice. Ces obstacles, dit-elle, vont du manque de réglementation adéquate à l’absence de solutions durables.
L’un des principaux défis réside dans les limites rencontrées lors de la création de valeur à partir des déchets. Bien que des initiatives artistiques et éducatives aient vu le jour, telles que la fabrication d’objets artistiques ou de petits tableaux pour enfants, il devient difficile de maintenir cet élan une fois ces créations réalisées. Le manque de solutions alternatives entrave la pérennité de telles activités.
Par ailleurs, le paysage du recyclage en Côte d’Ivoire est marqué par le manque d’acteurs engagés dans le processus. Malgré les efforts déployés par quelques entreprises locales, telles que Grafica pour le recyclage du papier, le secteur demeure largement sous-représenté. Ce manque d’implication entrave la mise en œuvre de solutions efficaces et la promotion d’une économie circulaire.
La réglementation est un autre défi majeur. Le secteur du recyclage souffre du manque d’un cadre réglementaire adapté qui accompagnerait les entreprises dans leur mission de création de valeur à partir des déchets. Les taxes imprévues et les réglementations inadaptées nuisent à la viabilité économique des entreprises de recyclage, entravant ainsi leur développement et leur capacité à investir dans des technologies et des infrastructures modernes.
Autre fait. L’absence d’un circuit de recyclage pour certains matériaux, notamment le plastique. Actuellement, tous les déchets plastiques sont exportés faute d’une infrastructure locale de recyclage adéquate. Cela soulève la nécessité urgente de trouver des solutions locales pour traiter ces déchets sur place, réduisant ainsi la dépendance aux exportations et favorisant une économie circulaire plus autonome.
De plus, lorsque des initiatives de recyclage sont lancées, telles que la fabrication de pavés à partir de sacs plastiques, les méthodes utilisées sont souvent rudimentaires et peuvent avoir des conséquences néfastes sur l’environnement, d’où le besoin de rechercher des technologies et des processus de recyclage plus avancés et durables.
L’Artiste contemporain Mounou Désiré Koffi, pour sa part, évoque « le manque de croyance à l’avancée de la cause, la difficulté des sensibilisations, la barrière linguistique dans les quartiers qui nécessite une adaptation au mode de communication de certaines populations pour la récolte des déchets, le manque de soutien dans le milieu de l’art, l’absence de subvention, le coût élevé du matériel, et le déficit d’éducation artistique des populations ».
Article rédigé par Marina Kouakou, dans le cadre du projet « Terra Africa », piloté par CFI – Agence française de développement médias.