Chercheur au Centre National de Floristique (CNF), une institution rattachée à l’UFR Biosciences de l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan, qui a pour rôle de conserver la biodiversité (surtout l’aspect flore), Docteur Yao N’Guessan Olivier est en exercice depuis l’année 2021. Mais depuis 2015, il mène des études dans le domaine de la conservation et de la biodiversité. Dans cette interview, il revient sur les activités humaines qui ont particulièrement contribué à la destruction de la biodiversité, avant de donner quelques suggestions pour l’amélioration de notre biodiversité.
MK : Pourquoi vous avez décidé de pratiquer la profession de botaniste ?
Dr Yao : J’ai un amour fou pour la nature, je ne me sens mieux que lorsque je suis en contact avec la nature. Tout est aussi parti du constat qu’on fait en Côte d’Ivoire. Constat qui permet de remarquer que cette composante de l’environnement est menacée par les activités menées par l’être humain. J’apporte ainsi ma pierre à l’édifice, afin de contribuer à la conservation de la biodiversité.
MK : Comment l’exercez-vous au quotidien de façon pratique ?
Dr Yao : Nous sommes dans un centre de recherche et ce centre joue un rôle particulier. Celui d’enrichir l’herbier national de Côte d’Ivoire. C’est le bâtiment qui conserve les échantillons de plantes de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique de l’ouest.
Nous travaillons sur plusieurs aspects notamment la conservation et la recherche. Nous sommes également habilités à identifier les espèces. On joue le rôle de conseillés en aidant des personnes qui ont besoin d’informations sur des plantes ou dans le domaine du reboisement, on accompagne des particuliers ou des structures étatiques à travers notre expertise.
Par ailleurs, nous faisons la reconnaissance des plantes dans le domaine des études impactes environnementales et sociales. Ici, on intervient sur l’aspect environnemental pour faire des évaluations.
MK : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de votre profession ?
Dr Yao : Nous manquons de moyens financiers et matériels pour aller au bout des études que nous menons. Aussi, la conservation des échantillons de plantes stockés ici, demandent de gros moyens financiers.
Je vous parlais tantôt l’herbier national de Côte d’Ivoire. Il faut ajouter de nouvelles espèces dans cet espace, mais la salle est déjà pleine. Il faut à cet effet construire une nouvelle salle, sinon modifier celle qui existe.
MK : Vous disiez que la composante de l’environnement est menacée par les activités menées par l’être humain. Pouvez-vous développer un peu plus cet aspect ?
Dr Yao : La biodiversité constitue la ressource première de l’homme et comble plusieurs aspects de la vie. On a recours à elle pour s’alimenter, pour se soigner et même pour tisser des liens avec notre Dieu. Notre manière d’appréhender et d’utiliser la biodiversité contribue d’une manière ou d’une autre, à la raréfaction, voire la disparition de cette biodiversité.
En Côte d’Ivoire, dans les années 1960, nous étions autour de deux millions d’hectares de forêt. Aujourd’hui nous sommes à moins de 10% de ce que nous avions à l’origine. Les cultures et l’exploitation des forêts se trouvent à l’origine de la disparition de cette biodiversité.
MK : Ce constat justement a permis au gouvernement et acteurs de la société civile de faire des sensibilisations et d’établir plusieurs projets pour la préservation de la biodiversité. Quel état des lieux faites vous à la suite de ces actions ?
Dr Yao : Au niveau des institutions étatiques et de la société civile. Notre manière de voir les choses a commencé à changer. Ce sont des initiateurs de projets de reboisement, développement de l’agroforesterie, etc. mais l’amélioration n’est pas perceptible à une échelle plus élevée.
Nos parents qui pratiquent les cultures et qui sont en grande partie responsables de la disparition de ses ressources, très souvent, ne reçoivent pas les informations sur les changements liés à leur domaine d’activité, pourtant ils ont déjà une conception de l’utilisation de la nature.
Ils ont besoin de connaitre et de prendre conscience de ces changements, avant de les aider à changer leur manière de faire les choses. Si on ne met que les plantes à leur niveau pour qu’ils développent l’agroforesterie, ils vont le faire sans comprendre le bien-fondé.
MK : En quoi les plantes sont utiles, surtout dans cette période de changement climatique ?
Les plantes jouent un rôle prépondérant dans notre existence. Il existe quatre catégories de services définies comme services écosystémiques, notamment les services de régulation, les services d’approvisionnement, les services culturels et les services de support.
Les services de régulation font référence à l’ombrage, l’air pur et autres. La présence des arbres favorise ces types de services de régulation. Ainsi, un micro climat ou d’autres espèces seront dans des conditions meilleures pour pouvoir se développer se crée.
Les services d’approvisionnement permettent de combler nos besoins primaires comme la nourriture, les médicaments à l’aide des plantes.
Les services culturels, sont des bénéfices immatériels que l’humanité peut tirer en lien avec nos cultures. Le peuple baoulé, par exemple utilise l’instrument de musique traditionnelle qu’on appelle l’Ahoco. Toutes les composantes de l’Ahoco sont issues de la nature.
Il y a des plantes qui sont adorées comme l’iroko qui est universelle. C’est une plante qui est assez conservée. Elle traduit la puissance. Quand un baoulé qui est vraiment attaché à sa coutume aperçoit l’iroko dans son champ, il ne s’en débarrasse pas. C’est aussi une forme de conservation, même s’il y a du mysticisme autour.
Les services de support quant à eux sont des services qui ne sont pas perceptibles, mais qui sont liés au fonctionnement de l’écosystème dans son ensemble. Un cours d’eau est un écosystème qui va servir de support pour des êtres vivants (poissons, insectes qu’on va retrouver là-dedans…). S’il y a des choses qui sont développées, qui font que ce cours d’eau ne peut plus répondre à ce rôle, ça va impacter les êtres qui vivent dans ce milieu.
MK : Avons-nous des raisons de préservation de la biodiversité spécifiquement liées à notre pays ?
Dr Yao : Les impacts de nos actions sur la biodiversité se ressentent de façon universelle, mais quand même chaque pays à sa particularité. Chez nous par exemple, il y a des plantes qu’on utilise beaucoup pour nos besoins quotidiens, ça peut ne pas être pareil au Ghana.
Par ailleurs, la Côte d’Ivoire a des avantages spécifiques et tout part de notre écosystème. Du sud jusqu’au nord, on n’a pas la même végétation. Au sud il y a beaucoup de forêt, dans le centre c’est la transition forêt, un peu de savane et puis typiquement au nord c’est la savane.
Notre économie est beaucoup plus basée sur l’agriculture, alors que ce sont les ressources naturelles qui sont utilisées dans l’agriculture. Il faut faire en sorte d’utiliser de façon durable ces ressources qui sont censées rehausser notre économie qui en dépend. Ce sont des avantages spécifiques à la Côte d’Ivoire dont les pays limitrophes tels que le Mali, le Burkina Faso ne bénéficient pas.
Il faut gérer nos ressources de façon rationnelle, c’est ce qui n’a pas été et qui a entrainé le constat que nous faisons.
MK : Avez-vous les statistiques des espèces de plantes menacées ?
Je n’ai pas de chiffres exacts et de listes, mais des évaluations se font de façon annuelle par l’Union internationale pour la conservation de la nature (Uicn). Elle évalue en fonction de plusieurs critères et les classes dans différentes catégories. Il s’agit de la catégorie vulnérable, la catégorie espèces en danger, danger critique et espèces éteintes. Ce sont des évaluations régionales et globale.
La plante communément appelée bois de vène, une espèce qu’on rencontre un peu plus en savane dans la zone de transition est inscrite sur la liste comme une plante en danger de disparition. On a également le makoré, l’assamela sur cette liste.
En ce qui concerne les espèces vulnérables, la liste est longue, on a l’iroko rouge, le bois bété…
Ladite liste est actualisée chaque année, seulement une espèce peut changer de catégorie. Elle peut être vulnérable aujourd’hui et être en danger demain.
MK : Pourquoi ces recherches ne se font pas au niveau national par les chercheurs que vous êtes ?
Dr Yao : Ces recherches demandent des moyens. Il faut parcourir la Côte d’Ivoire, faire évaluation pour connaitre les évolutions positives ou négatives. Il faut récolter les données pour ensuite les analyser.
En Côte d’Ivoire le professeur Aké Assi a fait quelques recherches, mais elles datent de 1998. Si on veut aller sur la base de ses travaux, on doit pouvoir actualiser sa liste, et cela nécessite des moyens. C’est vraiment dû à l’aspect financier qui permettra d’acquérir le matériel nécessaire.
MK : Quels sont les avantages de ces plantes qui sont en voie de disparition ?
Dr Yao : La plupart des plantes menacées sont utilisées dans le domaine de la médecine et du bois d’œuvre, c’est-à-dire les espèces exploitées pour les meubles. Ce sont vraiment des espèces matures qui sont exploitées (de gros pieds). Pour que ces plantes atteignent l’âge de l’exploitation, ce n’est pas moins de 40 ou 50 ans. Même quand elles ont été coupées et replantées, vous imaginez le temps d’attente.
Ces espèces se retrouvent dans un écosystème bien précis, et un écosystème va jouer un rôle bien précis. Si on perd ces espèces, l’écosystème ne pourra plus jouer ce rôle.
MK : Nous sommes forcément exposés à des complications si elles parvenaient à disparaitre ?
Dr Yao : C’est assez évident. Ce sont les conditions qui favorisent l’existence d’une plante dans un milieu. Certaines plantes poussent lorsque le milieu atteint un certain âge. S’il est détruit, la plante disparait et le milieu ne peut plus jouer ce rôle écologique qui existait. C’est la raison pour laquelle on a dit l’un des rôles de l’écosystème, c’est la régulation à travers le captage de carbone, la favorisation de la pluie…
L’autre aspect aussi important est la raréfaction de ressources qui peut engendrer des alternatives couteuses. Le bois d’œuvre par exemple permet de construire et celui qui en a dans son champ ne fera que l’utiliser sans dépenser. Si la plante disparait, ce dernier n’ayant plus de plante disponible dans son environnement immédiat, sera obligé de venir en ville pour chercher la ressource. Ce sont des moyens qu’il va dépenser.
Sur le plan alimentaire, on constate la raréfaction de certaines denrées alimentaires dont le manioc, le riz. On connait les quantités de riz importées. C’est vrai qu’il y a un aspect politique, ce n’est pas ce qui nous intéresse, mais c’est de montrer que les alternatives que nous cherchons dépendent de nos utilisations.
En ce qui concerne la médecine traditionnelle, l’alternative peut être la médecine moderne, mais cette médecine à un coût un peu plus élevé que les ressources à disposition.
Il y a des espèces de plantes dont la présence d’un animal est inféodée à la présence de l’espèce de plante, parce que l’animal consomme le fruit de la plante. Si l’espèce disparait, l’animal qui dépend de cette plante sera également menacé et n’aura plus dans son environnement immédiat de quoi se nourrir. Il ira chercher ailleurs d’autres alternatives. Au lieu de consommer les plantes sauvages, il peut consommer la banane ou le cacao du planteur. La disparition de l’espèce va impacter l’animal qui en dépend, mais quand on regarde sur l’échelon, ça va s’étendre jusqu’à l’homme qui est certainement la cause de cette disparition.
MK : Comment, de façon pratique ?
Très souvent dans les médias, on entend parler d’éléphant qui sort de la brousse et qui se promène un peu partout dans les champs et les villages.
En fait, l’éléphant dépend beaucoup du fruit charnu du makoré et l’avantage c’est que quand il le consomme et défèque, la graine pousse à nouveau. Si à travers le braconnage et autre, les populations d’éléphants disparaissent, il n’y aura plus d’espèce qui va multiplier cette plante.
Les espèces de singes, de biches, elles aussi consomment des plantes qui fleurissent et donnent des fruits une fois par an. Si elles n’existent plus, elles manqueront de vivres dans ces périodes et chercheront aussi des alternatives.
MK : Que faites-vous en tant que chercheur pour empêcher que cela n’arrive ? Est-ce que vous collaborez avec vos confrères du pôle scientifique de Bingerville ?
Dr Yao : Le pôle scientifique de Bingerville est rattaché à l’université et la faculté de bioscience. Il y a des collaborations qui sont faites sur des études bien précises, toujours en lien avec le changement climatique.
C’est vrai que le rôle du CNF c’est la conservation de la biodiversité, mais il y a l’aspect éducation environnementale. Nous recevons des visiteurs pour des visites guidées. Nous travaillons également avec les structures étatiques pour la conservation de la biodiversité, le CNF a contribué à la conservation d’un espace de 2000 hectares demandé par Côte d’Ivoire Energie…
Aujourd’hui, on travaille sur les moyens de pérennisation des espèces en voie de disparition. Il s’agit de maitriser la reproduction de certaines espèces.
C’était très difficile de maitriser la reproduction du makoré, mais à travers des tests, on a compris qu’on peut utiliser certains moyens et on l’utilise désormais dans les projets de reboisement.
Je participe à l’étude d’une étudiante du pôle sur « l’influence des changements climatiques sur le stock de carbone au niveau des plantes ». Nous voulons comprendre si le changement climatique va modifier la capacité de stockage de carbone sur les plantes. Nous avons choisi des espèces sur lesquelles nous allons faire les prélèvements pour vérification.
MK : Que devra faire l’Etat, les organisations de la société civile et les citoyens eux-mêmes sans toutefois attendre l’Etat ?
Dr Yao : La première des choses est que chacun prenne conscience de l’importance de la biodiversité pour soi-même. C’est à ce niveau qu’on n’est pas encore arrivé. Si chacun d’entre nous était conscient que lui-même son existence et sa subsistance dépendent des ressources naturelles, on allait changer notre manière de l’utiliser.
L’Etat a déjà pris des initiatives via le nouveau code forestier pour amener à une meilleure conservation. Il y a encore beaucoup d’efforts à fournir. Les structures de l’état ont aussi besoin de renforcement de capacités pour comprendre l’importance de la conservation de la biodiversité et la gestion des moyens qui existent, afin de mieux gérer les ressources à leurs dispositions.
Les acteurs de la société civile aussi. Nous avons effectué une sortie récemment avec une ONG qui est dans le domaine du développement de l’agroforesterie.
On s’est rendu compte que les plantes les plantes exotiques sont les plus utilisées pour le reboisement. Pourtant, il serait plus utile de choisir des plantes de chez nous.
Par ailleurs, il faut une étude de faisabilité de chaque projet, pour amener nos parents à être des cogestionnaires de projets. S’ils trouvent de l’intérêt, ils vont le faire.
Certains comprennent qu’il est important de développer l’agroforesterie pour pérenniser leur culture, mais il y a d’autres aspects de leurs environnements, ou institutions étatiques qui font que d’autres sont encore réticents.
MK : Quels sont ces aspects ?
Dr Yao : Quand on approche nos parents pour le développement de l’agroforesterie, ils ne sont pas contre l’idée. Seulement, ils redoutent le fait d’assurer l’entretien d’une plante, en temps, en énergie, et en argent pour ensuite la voir être détruite par les exploitants forestiers pour cette même raison, parce que chaque exploitant à son territoire et sa parcelle. Cet aspect constitue vraiment un frein au développement de l’agroforesterie.
Le souci, c’est qu’il y a beaucoup qui n’ont pas les informations, donc des gens aussi abusent quand ils vont vers nos parents.
MK : Quelles sont les espèces qui ont déjà disparu ?
Dr Yao : Il peut en exister, mais je n’en ai pas connaissance, surtout en ce qui concerne la Côte d’Ivoire.
MK : Il y a-t-il moyens de multiplier les plantes menacées ?
Dr Yao : C’est de maitriser le processus de multiplication de ses plantes, et de faire des travaux dans ce sens qui vont permettre de maitriser la reproduction de ses espèces. C’est notre responsabilité et celle de la Société de développement des forêts, (Sodefor).
Il faut développer des centres de conservation de semences. Si on travaille sur la multiplication d’une plante et qu’on maitrise la méthode de conservation, on peut la garder pendant plusieurs années et si besoin les utiliser dans des projets de reboisement, de restauration et autre.
MK : Le pays dispose de combien de centres de conservation des semences ?
Dr Yao : La Sodefor au niveau d’Adzopé en a uniquement pour certaines plantes. C’est l’occasion pour moi de demander à la société civile de s’y mettre, car elle a la possibilité de capter certains financements pour soutenir ce genre de projet.
Interview réalisée par Marina Kouakou